Ces modestes têtes en papier mâché faites de façon rudimentaire, peintes et ornées de cheveux sont les témoins de l’évasion la plus célèbre du monde. Le 11 Juin 1962, en pleine nuit, au large de la baie de San Francisco, 3 détenus entrent dans la légende, en réussissant l’exploit de s’échapper du pénitencier le plus sûr des États-Unis, Alcatraz.
Alcatraz : le pénitencier fédéral haute sécurité
Il faut dire que pour installer une prison de haute sécurité, c’est l’endroit idéal. Situé à un peu plus de 2 kilomètres de la côte, l’îlot est balayé toute l’année par les vents froids et les courants éminemment dangereux de la baie. Autrefois un fort, puis une prison militaire, elle devient un pénitencier fédéral en 1933. Au cours de son existence, de 1934 à 1963, la prison a abrité les plus dangereux criminels du pays dont notamment le baron du crime Al Capone et le gangster Alvin “Creepy” Karpis. Cette île, summum de la sécurité, était le terminus des criminels les plus endurcis. Une citation dans le film l’Évadé d’Alcatraz de Don Siegel donne le ton du lieu “Si vous ne vous conformez pas aux règles de la société, on vous envoi en prison, et si vous ne vous conformez pas aux règles de la prison, on vous envoi ici…Alcatraz a été bâtie afin que les oeufs pourris soient dans le même panier”.
Avant cette soirée d’été 1962, tout le monde pensait que la prison du rocher était une citadelle inviolable, conçue pour que personne ne puisse s’échapper.
Oh bien sûr, l’histoire de l’île ne manque pas d’histoire de tentative ratée !
Il n’y a qu’à regarder la page Wikipédia de l’île pour voir les 14 tentatives qu’il y a eu entre 1934 et 1963. Dans ces 14 tentatives distinctes, 36 détenus ont tenté de se faire la belle. Sur ces 36 prisonniers : 23 ont été capturés, 6 ont été abattus, 2 se sont noyés et enfin, 5 disparus sont présumés noyés (dont nos trois compères). Les deux autres présumés noyés sont les détenus Cole et Roe qui par une nuit de décembre 1937, alors qu’une tempête fait rage, se sont enfuis à la nage après avoir limé les barreaux de leur cellule. On ne les a jamais retrouvés… Cependant, en plein hiver, avec de surcroît une tempête et des courants forts, il est impossible qu’ils soient parvenus à gagner la terre ferme.
Officiellement, un seul détenu est parvenu à atteindre vivant le continent. Il s’agit de John Paul Scott. Il s’est échappé lui aussi un mois de décembre, mais cette fois en 1962 (soit 6 mois après la célèbre évasion) après avoir sauté par une fenêtre et plongé dans la baie. On le retrouva au pied du Golden Gate, inconscient et souffrant d’hypothermie. Ces 2 dernières tentatives de 1962, en plus de la vétusté des installations et de son coût de fonctionnement, sonnèrent le glas de la célèbre prison.
L’évasion de juin 1962
En plus de l’issue incertaine et mystérieuse des évadés, on retient cette évasion d’Alcatraz de juin 1962 (qui a donné le film, l’évadé d’Alcatraz, de Don Siegel avec Clint Eastwood dans le rôle vedette) pour son audace et son incroyable ingéniosité.
Cette entreprise, c’est tout d’abord, l’histoire de 4 hommes, 4 criminels endurcis condamnés qui après plusieurs tentatives d’évasion de divers pénitenciers, ont été transférés à Alcatraz:
- Allen West, originaire de New-York, il a été condamné pour car-jacking. Après son évasion du pénitencier d’Atlanta, il est arrivé sur le rocher depuis 1957. Ayant participé aux longs préparatifs, il est resté coincé dans sa cellule lors de la soirée de l’évasion. il a affirmé aux enquêteurs que c’était lui qui avait conçu le plan d’évasion (et certains historiens le pensent aussi);
- John et Clarence Anglin, 2 frères originaires de Géorgie, furent condamnés pour des braquages de banques. Après plusieurs tentatives d’évasion, il sont transférés à Alcatraz au début des années 60;
- Frank Morris, originaire de Washington, fut condamné pour attaques de banques. Après son évasion réussie du pénitencier de Louisiane, il fut repris et condamné à être envoyé au rocher. Doté d’un QI très élevé, il est considéré comme le cerveau de l’évasion (le film va dans ce sens).
Les 4 détenus qui se rencontrent dans la cour de promenade de l’îlot se connaissaient déjà, ils s’étaient côtoyés plusieurs années auparavant au pénitencier d’Atlanta en Géorgie, où ils avaient déjà parlé de leur désir d’évasion. Rapidement, après qu’ils se retrouvent enfermés dans des cellules voisines en décembre 1961, un plan d’évasion est envisagé.
Ce projet a nécessité plusieurs mois de préparation. West, le plus ancien pensionnaire du quatuor, connaît grâce à plusieurs corvées la disposition de la prison. Il a vu que derrière le mur en béton du fond des cellules passe un couloir de service étroit rempli de canalisation et ouvert jusqu’au sommet du bloc cellulaire, dans les combles du bâtiment.
Équipés de lames de scie oubliées dans un couloir et de cuillères aiguisées volées dans le réfectoire (et même d’une perceuse improvisée à partir d’un moteur d’aspirateur), ils creusent discrètement, chacun leur tour, des trous dans le mur de béton à côté de la plaque d’aération. Ils profitent de l’heure où les détenus sont autorisés à jouer de la musique (18h à 19h) afin de couvrir le bruit et ne pas alerter les gardiens.
Après plusieurs mois d’effort (tout en arrivant à se débarrasser adroitement des gravats), ils arrivent enfin à atteindre le couloir. Quand les trous sont trop grands pour passer inaperçus, ils fabriquent des fausses grilles d’aération avec du carton. Les gardiens n’y voient que du feu.
Plus tard, en haut des blocs, dans un endroit astucieusement caché, ils confectionnent de nuit tout le nécessaire pour une évasion réussie, radeau et gilets de sauvetage avec des cirés, pagaies en bois et gonfleur bricolé à partir d’un accordéon.
Pour dissimuler leurs activités nocturnes, ils confectionnent des fausses têtes en papier mâché, grâce à un peu de plâtre, des pansements volés à l’infirmerie, du papier toilette, du savon et des cheveux récupérés chez le coiffeur.
Dans la pénombre, la tête peinte et ornée de cheveux, rajoutée à cela des vêtements et serviettes roulés en boule sous la couverture, l’illusion est parfaite. Les gardiens ne remarquent rien durant leurs rondes.
Le grand soir, les compères attendent l’extinction des lumières de 21h30 avant de partir. Après avoir atteint les combles, ils passent par une conduite de ventilation pour atteindre le toit, le traversent en évitant les rayons des projecteurs et descendent du bâtiment grâce à une conduite. Après avoir franchi des clôtures de 4,50 m, ils atteignent la rive nord de l’île et disparaissent dans l’obscurité de la baie sur leur radeau de fortune. Seul West, qui n’a pu sortir de sa cellule à temps (il avait dû reboucher une partie de son trou avec du ciment et, celui-ci ayant durci, il était devenu trop étroit), ne sera finalement pas de l’aventure.
Le lendemain matin, lors de l’appel de 7h, les gardiens découvrent leurs lits vides. L’alerte est donnée. L’ancien détenu Darwin Coon se souvient que tout le monde criait à tue-tête : “ils sont partis ! ils sont partis !”. Allen West lui, dépité, est dans sa cellule. Il se montrera coopératif avec les enquêteurs du FBI, moyennant quoi il n’a pas été inculpé pour complicité d’évasion. Il leur a raconté qu’ils devaient d’abord passer sur l’île d’Angel Island, puis une fois sur la terre ferme, voler des vêtements et une voiture et s’enfuir le plus loin possible.
Pendant 10 jours, tous les services de police sont sur les dents. Lors des fouilles, on retrouve bien des débris du radeau et des effets personnels des frères Anglin, mais aucune trace des trois évadés. Par la suite, le FBI lance des recherches nationales, en vain. On ne les reverra jamais.
Une évasion passée à la postérité
Cette histoire, qui continue à faire rêver l’Amérique, connaît de nombreux rebondissements.
Déjà, 5 jours après l’évasion, une mystérieuse carte postale non authentifiée parvient au bureau du FBI avec ces mots “on a réussi. John, Clarence, Frank”.
En 2013, plusieurs décennies après la spectaculaire évasion, les autorités américaines ont reçu une mystérieuse lettre de quelqu’un qui prétend être John Anglin, l’un des trois évadés.
L’auteur affirme que lui, son frère Clarence et Frank Morris ont survécu de justesse à leur évasion, qu’il a 83 ans aujourd’hui et qu’il est atteint d’un cancer. Devant ce document, la police a rouvert l’enquête et procédé à des analyses ADN et graphologiques, mais celles-ci n’ont pas été concluantes.
De plus, en octobre 2015, la famille Anglin relance l’affaire, en dévoilant des soi-disant cartes de Noël que les frères auraient envoyées dans les trois ans suivant l’évasion et a rendue publique une photo des 2 évadés dans une ferme au Brésil en 1975. L’authentification de ces éléments font toujours débat, mais une chose est sûre, le neveu des deux frères est persuadé que ses oncles ont réussi l’exploit de s’en tirer.
Pour beaucoup d’experts, d’historiens ou d’agents du FBI, il n’y a aucun doute que les trois hommes ont bien perdu la vie cette nuit de 1962. Tenter la traversée sur un radeau rudimentaire ou à la nage dans une eau glacée de 10 degrés avec des courants puissants, par des hommes non entraînés et sous-équipés, les chances de succès sont minces.
Aujourd’hui encore, le mystère reste entier.
Pour plus d’informations sur l’évasion, je vous renvoie au documentaire passé sur France 5 et visible sur Dailymotion “les évadés d’Alcatraz”
Sources :
- 1962 l’évasion d’Alcatraz par Fabrice Drouelle dans Affaires sensibles sur France Inter – avril 2019
- Documentaire l’évasion d’Alcatraz réalisé par David Hickman
- Histoire des crimes DK collectif 2018. (en France collection les idées tout simplement)
- La mystérieuse lettre d’un des évadés d’Alcatraz Clémentine Rebillat pour Paris Match – 24/01/2018.
- https://www.nationalparks.org/connect/blog/genius-two-brothers-and-fake-heads – Katherine Rivard
- What Happened During the Most Famous Escape from Alcatraz Prison? Sabana Grande – Medium.com