La gourmette de Saint-Exupéry

C’est un jour de travail comme les autres pour les occupants du chalutier l’Horizon.

Nous sommes le lundi 7 septembre 1998 au large de la cité phocéenne. 

La journée avait mal commencé pour le patron pêcheur marseillais, Jean-Claude Bianco. La pluie n’avait cessé de balayer les environs et la matinée n’avait rien rapporté aux pêcheurs. Vers midi, il décide de déployer le chalut au large de Cassis pour un second et dernier tour. 

Après un moment, il donne l’ordre de remonter le filet. Sur le pont, les pêcheurs jettent un rapide coup d’œil à la prise. Il y a pour près de 100 kilos de marchandise à peu près, du poulpe, des maquereaux ou du merlan. Sur le chemin du retour vers le Vieux-Port, l’équipage fait le tri.

A un moment, le second de l’équipage, Habib Benamor, remarque quelque chose de brillant au milieu d’un paquet de concrétions. Après avoir cassé cet amas de matière, il se retrouve avec une gourmette entre les mains. Il remet alors sa découverte à son patron qui constate qu’il s’agit d’une partie d’une épaisse gourmette en argent noircie par le sel et le temps. Après l’avoir nettoyé à l’aide d’une éponge métallique, Jean Claude Bianco peut lire sur la plaque d’identité les mots suivant “Antoine de Saint-Exupéry (Consuelo), ℅ Reynal and Hitchcock Inc, 386 4th Ave, N.Y. City USA”. 

Gourmette de Saint-Exupéry – Wikicommons

Le pêcheur n’en croit pas ses yeux, il s’agit de la gourmette du célèbre Antoine de Saint-Exupéry. Il n’ignore pas que le célèbre écrivain aviateur à disparu à bord d’un Lockheed Lightning P38, le 31 juillet 1944, au large des côtes provençales. Mais personne n’avait encore pu déterminer avec certitude le lieu exact du crash. Pendant 54 ans, le mystère était resté entier, perdu dans l’immensité de la mer, jusqu’à cette miraculeuse découverte.

Antoine de Saint-Exupéry – d’après photo site actuaLitté

De retour au port, il contacte Henri-Germain Delauze, le président de la Comex, une entreprise spécialisée dans la recherche d’épaves, qui ne peut que confirmer la valeur de la trouvaille. Sur le bijou en argent est mentionné, en plus de son nom, le prénom de son épouse, Consuelo, une jeune femme d’origine argentine qu’il avait épousé peu avant la guerre. Ensuite, Reynal et Hitchcock et l’adresse à New York correspondent aux éditeurs américains qui ont publié la première traduction anglaise du Petit Prince en avril 1943. 

Dans une interview pour le site Actualitte.com à l’occasion d’une exposition à Paris en 2017, le petit-neveu de l’auteur, Olivier d’Agay, nous en dit plus sur cette fameuse gourmette. D’après lui, le bijou avait été offert à Saint Exupéry par sa femme à New York en 1942. “C’était pour éviter qu’il ne se perdent, et lui en retour lui avait offert une gourmette en or. L’histoire veut qu’il l’ait conservé sur lui quand il est parti pour la guerre, en souvenir de sa femme”.

A la vue de l’artéfact et ne pouvant dissimuler son enthousiasme, Delauze décide dans la foulée d’organiser une expédition dans les environs du lieu où la relique fut ramenée. Le lendemain, le navire d’exploration sous-marine, le Minibex, fouille déjà la zone à la recherche des débris d’un avion.

En parallèle, voyant ce navire parcourir les fonds vers l’île de Riou au large de Marseille, le plongeur professionnel Luc Vanrell a un pressentiment. Quelques années auparavant, il avait photographié une épave d’avion dans la zone. Après avoir exhumé ces clichés, il parvient à faire identifier par un professionnel une prise d’air de turbocompresseur et un train d’atterrissage de P38. Le plongeur jubile : les débris qu’il avait photographiés quelques années auparavant ne peuvent appartenir qu’à l’auteur du Petit Prince.

 

En septembre 2003, après quelques années de tractation pour obtenir l’autorisation du gouvernement français, le Minibex remonte des fonds, pièce après pièce, ce qui reste de l’épave de “Pique la lune”, l’écrivain Antoine de Saint Exupéry. Le doute sur l’identification est levé lorsqu’on découvre le numéro de matricule sur le caisson du turbocompresseur attestant bien de l’identité de l’avion. Malgré la présence de l’épave (surtout la partie de l’empennage, un train d’atterrissage et une partie d’un bâti moteur), son analyse ne permet pas de conclure définitivement sur les circonstances de la mort. Suicide ou accident ? telle est la question…

 

On sait seulement que les analyses de l’épave, sur laquelle n’a été trouvé aucun impact de tir (de balles, d’obus ou de DCA), montrent que l’appareil a plongé dans l’eau presque à la verticale, à grande vitesse. Toutefois, comme le rappelle Philippe Castellano pour Futura sciences, “nous n’avons que peu de vestiges (1/10e de l’appareil) donc même si nous n’avons décelé aucun impact, cela ne veut pas dire que Saint-Exupéry n’a pas été abattu par la chasse allemande”.

 

Néanmoins, l’hypothèse du suicide est évoquée par certains, notamment par l’interprétation de son dernier écrit. En effet, avant de décoller, Antoine de Saint Exupéry avait laissé une lettre en évidence sur son bureau : “Chaque retour d’un raid était un miracle. J’ai connu la panne, l’évanouissement par manque d’oxygène, la poursuite par les chasseurs et l’incendie en vol. Et puis, je me disais, si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. La termitière future m’épouvantait et je hais, chez les termites, leur vertu de robots. Moi, j’étais fait pour être jardinier.

 

Cependant, l’hypothèse la plus probable est que l’avion a été abattu par un chasseur allemand. Son petit-neveu nous l’affirme “ L’enquête nous a ensuite menés à un autre avion qui se situait pas loin, on a retrouvé son pilote, un allemand qui avait descendu un P38. Les recherches ont finalement démontré qu’il n’y avait qu’un seul P38 abattu dans la zone ce jour-là : c’était forcément celui d’Antoine de Saint Exupéry. […] Ce pilote, qui est décédé depuis, était toujours vivant il y a deux ans et nous avons pu le rencontrer. Il était désespéré parce qu’il admirait Saint Exupéry et qu’il ne savait pas que c’était lui qu’il avait abattu.

 

Quoi qu’il en soit, cette découverte improbable ravive la mémoire d’un auteur qui avait la tête dans les nuages et qui est mort dans le ciel dans un nuage de mystère.

Aujourd’hui, la gourmette est exposée, avec la carcasse de l’appareil, au musée de l’Air et de l’Espace du Bourget, dans une salle consacrée à l’auteur.

 

Image épave – Futura sciences © Vigilant Corp., Photonico, Pierre Salaun, Immo Sud Annonces, Mathieu Serra

Sources :

  • Wikipédia Antoine de Saint Exupéry
  • Libération/ Saint Exupéry pris au filet par Hervé Vaudoit
  • Actualitte.com/Antoine de Saint Exupéry : une gourmette a élucidé le mystère de sa mort par Laurène Bertelle
  • Pierre Bellemare & Véronique Le Guen  curieux objets, étranges histoires – J’ai lu.
  • http://www.ww2wrecks.com/portfolio/luc-vanrell-lhomme-qui-a-trouve-lavion-p-38-lightning-du-petit-prince-antoine-de-saint-exupery/
  • https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/histoire-disparition-saint-exupery-son-avion-surgit-flots-91684/

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