À une époque, elle fut considérée comme la plus belle femme du monde, une beauté exceptionnelle qui servit de modèle pour les personnages de Blanche-Neige et de Catwoman. Mais Hedy Lamarr, star sulfureuse d’Hollywood était aussi une passionnée des sciences qui inventa dans l’ombre un système de communication à l’origine des systèmes de communication sans fil d’aujourd’hui, le Wifi, le GPS et le Bluetooth.
Aujourd’hui reconnue à sa juste valeur, elle a pourtant été toute sa vie jugée uniquement sur son apparence. Beaucoup l’imaginaient comme une créature stupide et superficielle, alors qu’il en est rien. Retour sur cette icône qui, pour paraphraser Laurent Pericone pour le magazine Guerres et Histoire, était une bombe à tête chercheuse.
Son histoire débute à Vienne le 9 novembre 1914, la petite Hedwig Kiesler naquit au sein d’une famille juive assimilée, riche et cultivée. Enfant très intelligente et curieuse, elle s’intéresse très tôt aux objets et à leur fonctionnement. Dans le documentaire qui lui est consacré, Bombshell, son fils raconta qu’elle avait démonté entièrement une boîte à musique pour comprendre son fonctionnement. Cet intérêt, elle le partage avec son père, Emil, qui lui explique le fonctionnement de chaque chose. En plus de son goût pour la technologie et des inventions, ses parents, férus d’art, lui font aussi découvrir très tôt le théâtre, l’opéra, le piano (sa mère était pianiste) et le cinéma. C’est d’ailleurs en découvrant le cinéma durant son enfance qu’est née sa vocation de devenir actrice.
Ses débuts remarqués au cinéma
Dès son adolescence, la petite Hedy attire l’attention par sa beauté fascinante, beauté dont elle n’a pas conscience au début, mais assez vite, elle saura utiliser “ce masque” à son avantage. Un jour à l’âge de 16 ans, elle décida de se présenter aux Studios Sacha de Vienne pour commencer une carrière dans le cinéma. Très rapidement dans les jours qui ont suivi, elle faisait de la figuration et obtient des petits rôles dans des films autrichiens et allemands.
Mais c’est en 1933 avec le film controversé Extase du réalisateur tchèque Gustav Machaty qu’elle va camper son rôle le plus connu et se révéler au grand public. Dans une scène où elle interprète une jeune femme allant retrouver son amant, on la voit courir nue entre les arbres et entrer se baigner dans un lac, suivi d’un plan où elle simule un orgasme. Deux grandes premières dans l’histoire du cinéma !
Vous vous en doutez, le film à l’époque a fait grand bruit, le pape Pie XI a même condamné le film pour son érotisme (qui n’était pourtant que suggéré) et Hitler en a refusé la diffusion (en prétextant qu’elle était juive). Après ça, même si elle a réussi à gagner en notoriété, son étiquette de femme sulfureuse ne la quittera plus.
Un premier mariage avec un marchand d’armes
Par la suite, à 19 ans, elle se marie avec le fabricant d’armes Fritz Mandl (le Henry Ford autrichien, NDLR documentaire Bombshell), qui était autant captivé par la beauté de cette nymphe, qu’extrêmement jaloux et paranoïaque.
Tout le temps persuadé qu’elle le trompait, Mandl fit surveiller sa jeune épouse constamment par les domestiques. Détestant également l’effet qu’elle pouvait avoir sur d’autres hommes, l’histoire raconte qu’agacé par le film obscène Extase, il essaya de racheter tous les tirages des affiches du film afin de les faire disparaître. La production croyant en un regain de popularité en fit réimprimer par dizaine au fur et à mesure que Mandl les achetait jusqu’à ce qu’il abandonne.
Pendant cette période où elle fut madame Mandl, elle dut abandonner sa carrière et se cantonner au rôle de femme trophée lors de réceptions d’affaires où elle croisa le gratin du monde de l’armement, des hauts gradés de l’armée allemande et italienne ainsi que Mussolini en personne. S’ennuyant terriblement, elle se contenta d’écouter avec attention les conversations sur l’armement et notamment, un des thèmes revenant apparemment fréquemment, sur les recherches pour améliorer le guidage des torpilles. À l’époque, d’un grand intérêt pour la marine et l’aéronavale, beaucoup de spécialistes privilégient des recherches sur le guidage par câble de la torpille sous-marine. Cependant, le guidage par ondes radio est la technique la plus prometteuse malgré son extrême vulnérabilité par le brouillage.
Ces longues conversations ont peut-être eu une incidence sur son invention visionnaire future. D’ailleurs selon Laurent Pericone pour le magazine Guerres et Histoire, elle fait la connaissance en décembre 1936 d’un certain Hellmuth Walter, ingénieur spécialisé dans la propulsion des sous-marins et des outils de contrôle des torpilles qui lui donnera de précieuses indications sur l’orientation des recherches allemandes.
Sa fuite et ses débuts à Hollywood
En 1937, lasse de sa prison dorée et effrayée par la montée en puissance des nazis et des persécutions antisémites, elle décide de fuir le domicile conjugal en ayant en tête les mots de son père récemment décédé “fais ce que tu veux de ta vie et sois toi-même”.
Sa fuite est rocambolesque. Elle place des somnifères dans le thé de la domestique chargée de la surveiller, enfile ses vêtements en cachant ses bijoux dans la doublure du manteau et s’enfuit à vélo. Elle se rend à Londres, pour se réfugier chez des amis de ses parents.
Plus tard, ayant la volonté de refaire du cinéma, elle fait la connaissance de Louis B Mayer. Le producteur à la Metro-Goldwyn-Mayer était venu à Londres pour engager des acteurs et des actrices fuyant le nazisme et pensait qu’il pouvait les faire travailler à Hollywood pour la MGM à moindre coût.
Lors de la première rencontre, Mayer lui propose 150 dollars par semaine qu’elle refuse, prétextant que ce n’est pas assez. Prise plus tard de regret, elle achète un billet sur le paquebot Normandie qui ramène le producteur pour tenter de renégocier son contrat. Elle se pare de ses derniers bijoux et d’une robe de soirée haute couture pour la réception, il est évident qu’une femme aussi sublime que Hedy fait sensation, tout le monde la remarque y compris Louis Mayer. Séduit par son magnétisme, Mayer accepte de l’embaucher avec un salaire de 500 dollars par semaine. Cependant, l’actrice doit se trouver un pseudonyme pour faire un peu plus « Hollywood » et que le public américain ne fasse pas le lien avec le film extase. C’est alors que la jeune Hedwig Kiesler devient Hedy Lamarr, en hommage à l’actrice du cinéma muet Barbara La Marr.
Elle débute à la MGM dans le film Casbah avec Charles Boyer qui la propulsera au rang de star. Elle fait la couverture des magazines et les femmes imitent sa coiffure et sa façon de se maquiller. Mais rapidement, sa carrière bat de l’aile et Louis Mayer rechigne à lui offrir des rôles. Mais elle parvient à obtenir des rôles dans, I take this woman avec Spencer Tracy et Boom Town (la fièvre du pétrole) avec Clark Gable.


Une passion pour les sciences encore vivace
En parallèle à sa nouvelle vie éreintante à Hollywood, elle cultive un jardin secret, un petit atelier dans lequel elle imagine des inventions. Elle n’a pas oublié sa première passion et préfère la science et les inventions aux fêtes et aux paillettes du show-business. Elle partage d’ailleurs une belle complicité intellectuelle avec le milliardaire Howard Hughes qui a les mêmes centres d’intérêt (qui fut aussi selon ces propres mots son pire amant).
Hughes lui fait même cadeau d’un petit atelier pour qu’elle puisse travailler dans sa loge entre deux prises. Dans le documentaire Bombshell d’Alexandra Dean, on apprend aussi qu’elle avait dessiné pour Howard un avion plus rapide en faisant ce qu’on appelle aujourd’hui du biomimétisme, en s’inspirant de la physionomie de l’oiseau et du poisson le plus rapide du monde. On apprend également qu’elle avait eu l’idée d’inventer un comprimé qui pouvait transformer l’eau en coca, ce qui fut un échec.

Une rencontre déterminante
C’est lors d’une soirée à Hollywood en 1940 qu’elle fait la connaissance du compositeur et écrivain George Antheil. Leur discussion les emmène loin des mondanités classiques et ils se découvrent des points communs : une haine farouche du nazisme, de la guerre qui ravage l’Europe et une volonté d’aider les Alliés à lutter contre le Reich.
Pour protéger les convois contre les assauts des terribles U-boot, la belle brune est certaine d’avoir la solution : mettre au point un système de guidage pour les torpilles fiable et sécurisé. Pour elle, un système de communication qui fonctionne sur une seule fréquence peut être brouillé très facilement. Mais si le message est divisé en “paquet” en utilisant plusieurs fréquences de façon synchronisée, il ne sera pas intercepté et l’on pourra en toute sécurité téléguider la torpille jusqu’à son objectif.
C’est de cette rencontre que naîtra une idée qui deviendra une technologie à la base des communications sans fil moderne : l’étalement de spectre par saut de fréquence.

La mise au point de l’invention
George Antheil est emballé et accepte de l’aider à mettre en pratique cette idée. Il faut dire que c’est une aide précieuse. Pianiste de génie, Antheil est connu pour son Ballet mécanique où 16 pianos mécaniques parfaitement synchronisés jouent ensemble. C’est grâce à son expertise de pianiste qu’il estime que ces sauts de fréquence sont réalisables sous la condition de les coordonner de la même façon que les pianos de son œuvre orchestrale. Ainsi, si des rouleaux de piano mécanique identiques sont insérés dans un émetteur et un récepteur, chacun ayant la même succession de trous indiquant les changements de fréquence de communication et qu’ils se déroulent exactement à la même seconde, alors la transmission est parfaitement synchronisée.
À ce stade, on est en droit de se demander comment elle a eu cette idée si novatrice. Bien sûr, elle a eu son lot de détracteurs avec en tête l’ingénieur Robert Price (1929-2008), pionnier en matière de communications secrètes, qui l’accuse de plagiat et d’espionnage, n’hésitant pas à la traiter de “mata-hari” de la Seconde Guerre mondiale. “Je sais ce que j’ai fait et je me fiche de ce qu’on peut penser de moi”, rétorque l’actrice lors d’une interview téléphonique avec Fleming Meeks lorsqu’il évoque les accusations de Price.
De plus, dans le documentaire d’Alexandra Dean, Richard Rhodes, écrivain et historien américain, lauréat du prix Pulitzer, affirme qu’elle n’a pas volé cette technique du saut de fréquence, mais au contraire, qu’elle en a eu l’idée par hasard grâce à la Philco Mystery Control ou Philco Magic Box, une radio contrôlée à distance sortie en 1939 par la société Philco. Quoi qu’il en soit, de nombreuses preuves conservées chez le fils de Hedy, prouve qu’elle aurait eu cette idée et George Antheil lui-même dira plus tard de son vivant que tout le mérite de l’invention devrait revenir à Hedy (il mentionne aussi l’invention dans ses mémoires Bad Boy of Music dans le chapitre 32 : Hedy Lamarr et moi avons inventé une radio torpille).
Hedy et George vont passer leur temps libre à mettre en œuvre cette technique jusqu’au 10 juin 1941 où ils déposent une demande brevet pour leur système de saut de fréquence qui s’étale sur 88 fréquences (soit autant de touches d’un clavier de piano).
En septembre 1941, dans l’attente de la reconnaissance de la validité de leur brevet, ils soumettent l’idée au Conseil National des inventeurs qui fut approuvé séduit par l’originalité et la qualité du travail des deux artistes. Par la suite, cet organisme les mettra même en contact avec un physicien expert en électronique de Caltech, le professeur Sam Mackeown, pour les aider sur la partie électronique du projet.
En août 1942, l’Office américain des brevets reconnaît la validité de leur système de communication secrète. Le brevet numéro 2 292 387 est enregistré sous leurs 2 noms.


Profondément patriotes, Hedy et George décident de participer à l’effort de guerre en mettant le brevet à disposition de la US Navy. Celle-ci rejeta sèchement leur offre en justifiant que c’était trop compliqué à mettre en œuvre. Dans ces mémoires, Antheil se désole du manque d’imagination des militaires : “Ils croyaient que nous voulions faire entrer un piano mécanique dans une torpille”.
Désabusée, Hedy voit s’envoler l’occasion d’être enfin reconnu pour la femme intelligente qu’elle était. Au lieu de ça, la Navy lui lance qu’au lieu de perdre son temps avec ces inventions, elle ferait mieux d’aller vendre des obligations de guerre si vraiment elle veut être utile ! Décidément, on ne peut pas être Hedy Lamarr et avoir un cerveau. Et donc, même par dépit pour le rejet de son invention, elle aide avec ferveur son pays d’adoption en participant, avec d’autres stars d’Hollywood, aux tournées de vente des War bonds (obligations de guerre), visant à financer l’effort de guerre américain auprès du public. Elle aurait vendu pour environ 25 millions de dollars d’obligation de guerre (soit près de 300 millions de dollars d’aujourd’hui).
Sa vie d’après-guerre
En 1946, ayant assez des rôles qu’on lui confie (comme celui de Tondelayo en 1942) elle décide de vivre sa vie comme elle l’entend et décide de produire ses propres films, une première à l’époque afin de s’émanciper des studios. Son premier film sera The Strange Woman (Le démon de la chair) qui connaîtra un succès modéré au box-office.
En 1949, elle sera au sommet de sa carrière, grâce au triomphe du film de Cecil B DeMille, Samson et Dalila (considéré comme le plus grand succès de l’actrice). Mais par la suite, sa carrière bat de l’aile et elle engloutit sa fortune dans la production de Loves of Three Queens. Ruinée, elle disparaîtra peu à peu des écrans dans les années 50.

Les années passant l’admiration qu’elle suscitait par sa beauté phénoménale laissèrent place à de la moquerie. Occultant totalement son intelligence, elle devient même une caricature alimentée par ses 6 divorces et ses affaires judiciaires (dont un pour vol à l’étalage en 1966). Enlaidie à cause d’opérations de chirurgies esthétiques ratées, elle vivra recluse les dernières années de sa vie. En janvier 2000, l’ex-star qui possède son étoile sur le célèbre Walk of Fame de Hollywood est morte dans l’anonymat à l’âge de 85 ans.
La nouvelle vie du brevet
En ce qui concerne son brevet, après avoir été rejeté par la marine, il a été mis sous coffre avec la mention top secret. Et c’est quelques années plus tard, au début des années 1960, avec les progrès de l’électronique, que l’armée américaine lui donne une seconde vie. Tombé récemment dans le domaine public, il sert pour crypter les communications entre les navires assurant le blocus de Cuba pendant l’épisode de la crise des missiles de Cuba en 1962. En effet, grâce à l’étalement du spectre par saut de fréquence (Frequency-hopping spread spectrum), il est impossible pour une station radio ennemie qui ne connaît pas la combinaison et le déroulement des fréquences de suivre les transmissions radio. L’étalement du spectre sera aussi à la base du développement de la géolocalisation par satellite, le GPS (Global Positioning System) au début des années 80 par le département de la Défense des Etats-Unis. Déclassifiée en 1985, l’industrie des télécoms s’en servira pour mettre au point un système permettant aux téléphones de fonctionner sans que les communications ne soient brouillées par des interférences. Le CDMA (code division multiple access), tout simplement l’application moderne de l’idée de Hedy et George, servira de normes pour les protocoles de communication et de transmission de données sans fil d’aujourd’hui, le Wi-Fi, le GPS et le Bluetooth.
Une reconnaissance tardive
De son vivant , elle ne recevra qu’une reconnaissance tardive en 1997, où elle reçoit un prix de l’Electronic Frontier américaine. Mais après sa mort, beaucoup lui reconnaissent son génie. En Autriche, depuis 2005, le 9 novembre, jour de sa naissance, est associé à la journée des inventeurs.
En 2014, elle a été admise à titre posthume avec Antheil au National Inventors Hall of Fame.
En 2015, pour le 101e anniversaire de sa naissance, Google lui rend hommage en la représentant par une animation sur sa page d’accueil.

Sources :
- documentaire Bombshell de Alexandra Dean, diffusé sur Arte
- guerres et histoire n°8 août 2012, Laurent Pericone : Hedy Lamarr, la bombe à tête chercheuse.
- Futura science biographie Hedy Lamarr
- Hedylamarr.com
- letemps.ch : hedy lamarr l’étoile d’Hollywood qui inventa les bases du Wifi et du GPS par Aurélie Coulon novembre 2015
- France culture : hedy Lamarr, la dame sans passeport d’Hollywood documentaire de Hélène Frappat et Angélique Tibau février 2017.
- https://www.programme-tv.net/news/cinema/262479-hedy-lamarr-arte-la-star-hollywoodienne-qui-a-invente-le-wifi/
- https://www.histogames.com/HTML/chronique/grande-femme-de-l-histoire/hedy-lamarr.php
- https://patents.google.com/patent/US2292387 (brevet de Lamarr en Antheil)
- Kaspersky.com/blog/Hedy Lamarr