L’erreur de traduction qui a conduit à Hiroshima et Nagasaki

Il suffit de peu de chose parfois pour changer le cours de l’Histoire. Dans ce cas-ci, il a suffi d’un mot, ou plutôt sa traduction, pour que soient larguées deux bombes atomiques sur l’empire du Japon en août 1945.

 

Été 1945, la Seconde Guerre mondiale dure depuis plusieurs années déjà. Après la capitulation de l’Allemagne et la défaite de l’Italie fasciste, seul le Japon résiste à l’assaut des Alliés. Dans le Pacifique, les combats font rage et les batailles aux noms exotiques s’enchaînent, Guadalcanal, Peleliu, Iwo-Jima ou encore Okinawa.

 

Le 26 juillet 1945, lors de la conférence de Potsdam, les dirigeants alliés adressent un ultimatum à l’Empire du Japon : « Nous appelons le gouvernement du Japon à prononcer aujourd’hui la capitulation sans conditions de toutes les forces armées japonaises […] Sinon, elle subira une destruction rapide et totale. » Truman, Churchill, Staline et Tchang Kai-Chek attendent la réponse japonaise en gardant l’espoir que le Japon se rendra sans condition et que cette guerre ne soit plus qu’un mauvais souvenir.

Churchill, Truman et Staline à la conférence de Postdam en juillet 1945 © Archives américaines – Wikimedia commons

 

Truman, le président américain, attend la réaction des autorités japonaises avant de prendre sa décision finale pour la suite du conflit en cas de refus de l’ultimatum. Soit lancer l’opération Downfall qui prévoit l’invasion terrestre du Japon, soit utiliser une arme nouvellement opérationnelle, la bombe atomique.

 

À Tokyo, le Conseil suprême pour la direction de la guerre japonais est profondément divisé. Sur les 6 membres de ce conseil restreint (Premier ministre Suzuki, le ministre de la Marine, le ministre des Affaires étrangères, le ministre de la Guerre, le chef de l’armée et le chef de la Marine), les 4 militaires veulent refuser la capitulation et continuer le combat. Les deux diplomates, le ministre des Affaires étrangères Shigenori Togo et le Premier ministre Kantaro Suzuki ne sont pas de cet avis. Ils ont parfaitement compris que la capitulation exigée s’applique seulement aux militaires et que les Alliés offrent au Japon un moyen honorable de sauver la face (même si l’avenir de leur Empire en tant que tel n’est pas garanti dans le texte). De plus, Togo veut gagner du temps. Il veut attendre la réaction des Russes pour solliciter leur médiation auprès des Américains afin d’obtenir le maintien de l’Empire contre la capitulation inconditionnelle.

Pour temporiser et gagner du temps, un compte rendu de la réunion est rédigé en annonçant que le Conseil de guerre suprême décide de répondre « mokusatsu » à l’ultimatum des Alliés. Sans le savoir, l’usage de ce mot de vocabulaire nippon vient de condamner l’Empire du Soleil levant.

 Mokusatsu est composé de deux kanji : moku (silence) et satsu (tuer). Littéralement donc, ce mot signifie « tuer le silence ». Mais ce mot à un caractère assez ambigu. On peut l’utiliser pour vouloir dire « ne pas tenir compte de » « ignorer », « sans commentaire » mais aussi pour « traiter avec mépris ».

Premier minstre Kantaro Suzuki © Wikimedia commons

Même si le Premier ministre Suzuki dira plus tard l’avoir utilisé pour « sans commentaire », il semble qu’en bon politicien, il a utilisé un mot ambigu à la fois pour ménager les Alliés mais aussi pour calmer son armée. Il faut rappeler que depuis la tentative de coup d’État de février 1936 (putsch « 226 » en japonais) organisée par 1 400 militaires ultra-nationalistes (vague d’assassinats contre des membres du gouvernement jugés responsables de la crise que connaît le Japon, étape décisive dans l’instauration de la dictature militaire dans l’archipel), l’influence de l’armée sur le politique s’est vue renforcée. C’est l’époque du militarisme. Une idéologie qui voulait que la force militaire domine la vie politique et sociale de la nation. C’est donc une armée surpuissante (qui jusqu’alors n’avait jamais capitulé) dont dépend la puissance de l’Empire qu’il faut ménager.

 

Dès la déclaration, l’agence de presse officielle japonaise (Domei News Agency) opte pour traduire le mokusatsu de leur Premier ministre par « ignorer ». Rapidement, une version anglaise du message par un quotidien nippon suit avec la traduction erronée et fera le tour du monde. Les Américains prennent la déclaration comme une marque de mépris, un nouvel affront de Japonais dédaigneux déterminés à se battre jusqu’au bout.  Une note de la NSA commente cette réponse comme un « exemple typique de l’esprit fanatique et Kamikaze » des japonais.

Le président Harry Truman commentera plus tard à ce sujet « Ils nous ont répondu d’un ton méprisant…C’est tout ce que j’ai obtenu. Ils m’ont dit d’aller me faire foutre ! » (NDLR Slate).

 La suite on la connaît. Dix jours plus tard, la première bombe atomique s’abat sur Hiroshima, suivi par Nagasaki trois jours après. Le 2 septembre 1945, le Japon signe officiellement son acte de capitulation sur le cuirassé USS Missouri, ancré dans la baie de Tokyo.

Le jour de la capitulation sur le USS Missouri © wikimedia commons

 

Pour conclure, comme le rappelle cette note déclassifiée de la NSA, le cas de la traduction du mot « Mokusatsu » est un exemple extrême qu’un mot traduit dans une autre langue peut avoir plusieurs sens et interprétations dans une autre. Dans ce cas-ci, choisir une mauvaise traduction à un mot a eu une terrible conséquence (en même temps cette note de la NSA imagine bien la réaction des supérieurs américains s’ils avaient su pour les différentes traductions : « Nom de dieu soldat, je ne peux pas aller voir les chefs avec un questionnaire à choix multiples […] donnez-moi une traduction valable !).

Détail capitulation japonaise © wikimedia commons

Mais peut-on seulement tenir responsables les traducteurs de ce qui est arrivé ? C’est plus compliqué que ça et l’article de Slate nous montre bien que « c’est moins la cause du drame que la conséquence logique d’un rapport de force politique ». D’un côté comme de l’autre, un dialogue de sourds diplomatique s’est institué. D’un côté, des Américains dissimulant l’existence de la bombe atomique à ses ennemis, mais aussi à son allié russe (qui le savait déjà) ainsi qu’au Congrès américains (qui n’aurait pas apprécié d’apprendre par la presse l’existence d’un programme secret de plus de 2 milliards de dollars). Et de l’autre des japonais, à mille lieux d’imaginer la puissance des bombes qui allaient s’abattre sur Hiroshima et Nagasaki, qui fait une déclaration équivoque à la fois pour contenter les Alliés, mais également pour ménager sa propre armée (dont une faction tentera un coup d’État dans la nuit du 14 au 15 août, la veille de l’annonce de la capitulation) dans l’attente d’une médiation russe. Leur déclaration de guerre le 8 août et l’ouverture du front russe en Mandchourie achèvera les derniers espoirs nippons et conduit, avec les 2 cataclysmes atomiques, à leur capitulation.

Sources :

  • https://sciencepost.fr/mokusatsu-lerreur-de-traduction-a-precipite-chute-japon-1945
  • https://www.nsa.gov/portals/75/documents/news-features/declassified-documents/tech-journals/mokusatsu.pdf
  • http://www.slate.fr/story/91073/mokusatsu-erreur-traduction-seconde-guerre-mondiale
  • https://www.geo.fr/histoire/japon-bombes-atomiques-hiroshima-et-nagasaki-l-apocalypse-en-quatre-actes-191295
  • https://beelingwa.com/fr/blog/importante-erreur-de-traduction
  • https://www.researchgate.net/publication/352083496_Hiroshima_Mokusatsu_and_Alleged_Mistranslations

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